Extract of The Moleskin Notebook by Lucien Jacques (trans. Lesley Lawn)
So as not to slip on the banana skins of glory,
then unbalanced slither and fall into the mire
where Madame vox populi, cruel and foolish, pimps and preens,
day after day in a moleskin notebook
I set down the story, plain and simple, sad,
of my time as a stretcher bearer.
Fine talking strategist, chronicler of pompous utterance,
collector of faded laurels; hero sung with trumpet blast
or the glint of steel sabres on parade…no
…nothing to get your teeth into, nothing special,
nothing fabulous in all that I describe!
And yet, and yet!
That’s how it was – the great Epic!
Bickering over food, marching forward, marching back,
full kit and sodden flannel and then all over blood
– blood – noise, then more blood in mud, in piss,
in everything.
Here and there a glimpse of violet dawn through rustic pines,
a tiny singing bird, the stubborn green of clover,
then blood, and more blood.
A miraculous tree blossoming
against a rectangle of blue sky
then blood, noise and canon fire.
Friendship, like a meteor
brilliant sometimes lights the night –
is then snuffed out in a pool of blood, more blood.
No doubt you find it tiresome,
this blood repeating every line
but I will give you more – new blood, bright, red blood,
then black, dried blood,
for that is how it is, page on page
day on day, for years on end.
Of course, there is plenty more besides
in this moleskin notebook
but it is no more edifying.
Did I say bickering over food?
No less frequent, sniping over bedding,
a handful of vermin-ridden hay, a bale of straw,
bickering over who gets what, bickering over everything
and nothing.
Passing through the moleskin notebook, the martial silhouettes:
(Quiet now, I’ll hold back my bile)
Medical Officer haughty, tough, Lieutenant, spineless,
Adjudant, a dismal sire.
God forgive those three and render unto them
the good they did, to ponder their remaining years.
Let each one do the same, I’ll pardon those by whose grace
I fathomed the abyss of human folly.
In the moleskin notebook though are mostly fellows,
warm-hearted, loyal, who talk and laugh, suffer,
sing their way through senseless toil.
Fine men!
For them I keep this notebook
– they live within each day, each hour.
Rereading it I laugh, I cry and bless them:
they helped me know that which makes us human.
A l’auteur de Clavel
Le cahier de moleskine
Afin de ne point perdre pied
Sur les épluchures de gloire
Et, de leur fait, glisser et choir
Au beau mitan du bourbier,
Là où barbote et fait la belle
Madame l’opinion courante,
Cruelle sotte !
Sur un cahier de moleskine
J’ai consigné jour après jour
La terne, simple et triste histoire
Des temps où j’étais brancardier.
Stratège au spécieux palabre,
Chroniqueur au ronflant vocable,
Collectionneur de vieux lauriers ;
Héros que suscite un appel de fanfare
Ou bien l’éclair d’acier des sabres
D’une parade,
Rien à vous mettre sous la dent,
Rien de rare dans mes graphiques,
De spécial, de mirifique !
Et pourtant ! Pourtant !
Ce fut ça
L’Epopée !
Des chipotages de cuisines ;
Marches en arrière, en avant,
Fourniments complets, flanelles trempées
Et puis un peu partout du sang
– du sang- du bruit et puis du sang
Dans de la boue, dans de la pisse
Et dans le reste.
- De ci, de là une aube violette
Vue au travers d’agrestes pins.
- Un minuscule oiseau chanteur.
- La tache têtue d’une luzerne verte
Et puis du sang, encore du sang.
- Un miraculeux arbre en fleurs
Sur un rectangle de ciel bleu
Et puis du sang, du bruit, du feu.
- L’amitié, comme un météore
Fulgurant parfois dans la nuit
Et s’éteignant dans une flaque
De sang encore.
Ah, n’est-ce pas que c’est lassant
Ce sang qui revient à toutes les lignes.
Je vous en passe cependant
Du bon sang neuf, du beau sang rouge
Et du plus noir et du plus sec,
Car c’est ainsi de page en page,
De jour en jour pendant des ans.
Oh ! Il y a bien d’autres choses
Sur le cahier de moleskine
Mais ça n’est pas plus exaltant.
J’ai dit chicanes de cuisine ?
Mais avec égale fréquence
Chicane à propos du couchage ;
Pour la poignée de foin
Grouillante de vermine
Et la bottée de paille ;
Chicane à propos des partages ;
Chicanes à propos de tout
Et de rien.
Dans le cahier de moleskine
Passent, martiales silhouettes
(ô mes rancoeurs je vous musèle)
Monsieur le Médecin-Major
un être dur et suffisant ;
le lieutenant, un homme veule
et l’adjudant, un triste sire.
Dieu leur pardonne à ces trois-là
Et leur rende le bien qu’ils ont fait.
Pour réfléchir la vie leur reste.
Et que chacun en fasse autant
Que moi qui leur pardonne aussi.
Grâce à eux j’ai pu me pencher
Sur l’abîme de la bêtise.
Dans le cahier de moleskine
Il y a surtout quelques bougres
Affectueux, loyaux, humains,
Qui parlent, rient, souffrent et chantent
En faisant d’obscures besognes.
Belles figures !
Pour elles seules j’ai conservé
Le vieux cahier de moleskine.
Elles y vivent heure par heure.
Le relisant, je ris, je pleure
Et les bénis :
Par elles j’ai pu mesurer
Tout ce qui dans l’homme est humain.
from La Pâque dans la Grange
Bibliothèque du Hérisson. Edgar Malfère 2050 ex. 2 janvier 1924